Le vicaire DACHET - GRAND-LEEZ

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J.M. Defense

 
 
Pierre Joseph DACHET,
 
le moine de Floreffe qui se disait Roi de France,
 
 
vicaire  à Grand-Leez de 1780-1784.



 
 
 
Introduction

 
  C’est par le livre de Noël ANSELOT[1] que j’appris la présence à Grand-Leez, à la fin du XVIIIe siècle,  de Pierre-Joseph DACHET, ce chanoine prémontré de l’abbaye de Floreffe, qui se prétendait frère aîné de  Louis XVI !     
 
  On ne saurait rien de Dachet, sans un ouvrage singulier, qu’il imprima lui-même à Voroux-Goreux, près de Liège et intitulé : Tableau historique des malheurs de la substitution, par M. d'Aché. (sic) A Voroux-Goreux, chez l'auteur, Julliet (sic) 1809-1812, 5 tom. en 6 vol. in-8 et dans lequel, il a transcrit, à l’âge de 66 ans, ses mémoires. Tous les exemplaires furent saisis et mis au pilon, sauf cinq. Noël ANSELOT récupéra l’un d’eux.
 
 Tous les faits repris ci-après sont extraits de ces ouvrages, sauf les documents que nous avons dépouillés des archives de Grand-Leez.

  
Ses Origines

 
  Tôt ou tard, les enfants adoptés partent à la recherche de leurs origines. Dachet  plaça la barre très haut et c’est à Versailles, en 1787, qu’il rechercha sa famille. Evidemment, il frappa à la mauvaise porte et plutôt qu’un foyer, c’est la prison qui l’accueillit.
 
 
Son délire
 
  Il prétendait pas moins,  être le fils aîné du dauphin, Louis-Ferdinand de France, 4ème enfant de Louis XV et de sa seconde épouse Marie de Saxe et par conséquent, il se croyait frère de Louis XVI. Malheureusement, il ne fournit aucune preuve. Il y avait bien cette lettre de son grand-père (Louis XV) qui le rappelait à Versailles et datée du 14 juin 1771. Mais l’abbé de Floreffe lui aurait subtilisée, selon ses dires ! Dans ses récits, il démontre sa parfaite connaissance de la famille royale de France. Ainsi, il déclare avoir rencontré à Versailles, sa sœur Elisabeth (Elisabeth-Philippe-Marie-Hélène –dite Madame-).
 
  Sa conviction d’une filiation exceptionnelle est affirmée d’emblée dans ses mémoires. Cependant, les débuts de son délire sont difficiles à reconstituer. Certains auteurs évoquent qu’il subissait déjà les sarcasmes des autres élèves au collège..
 
  Comme Noël Anselot l’écrit, Dachet n’est pas un cas unique et d’autres prétendants au trône de France, plus ou moins crédibles, se sont manifestés au cours des siècles.
 
 
Dachet raconte son arrivée dans le Namurois
 
 
  « C’est par de nombreux témoignages que j’appris mon arrivée au petit village de Frappecu,[2] pays de l’empereur, probablement entre le 26 et le 28 septembre de 1751.
 
  C’est chez un forgeron de ce village que je fus déposé. Il était né allemand et s’appelait Nicolas Lecler. Il avait épousé une femme du nom de Marie Dachet. Ils eurent deux fils, Pierre et Jacques. »
 
  Le 21 avril 1791, le fils Pierre écrivit à Dachet : « Je vous écris que ce sont deux grands beaux messieurs qui avaient des manteaux gris, les cheveux liés et les habits bleus qui vous ont apporté à Frappecu dans un panier. Ils ont dit à mon père et à ma mère : « Prenez cet enfant et nous vous payerons bien ».

  
La substitution
      
 
     Selon sa version, notre personnage aurait été conduit par Marie Dachet avec une « mesquenne » et un jardinier, chez son frère Jacques Dachet, domicilié avec son épouse Thérèse Lelièvre  à Namur, dans la maison « Aux Armes d’Espagne, proche de St-Loup ». Jacques Dachet était fondeur de cuivre à la fonderie de Mr Bivort, rue des Fossés.
 
     Dachet soutint que les époux Dachet auraient perdu un fils, né et baptisé à Namur en 1748, prénommé Pierre-Joseph, auquel il aurait été substitué.
     
     Le registre des baptêmes a disparu dans l’incendie de l’Hotel de Ville de Namur en 1914. Mais Dachet avait reçu une copie de l’acte qu’il reprend dans son Tableau historique, tome 3, p.328 & 329 :
 
Extrait du registre des baptêmes de l’église paroissiale de St-Loup en la ville de Namur :
 
Pierre-Joseph Dachet  né & baptisé le 27 janvier 1748, fils légitime de Jacques Dachet et de Thérèse Lelièvre.
Le parrain était Pierre-Joseph Doutremont et la marraine, Marguerite Lelièvre, épouse de Jean-Baptiste Simal.

 
Dans ses mémoires, il se fait appelé Louis-Joseph Xavier d’Aché !
      
 
Ses études
     
 
     DACHET fit ses études au collège des Jésuites à Namur, où il passa cinq années.  Il fut ensuite étudiant à l’université de Louvain et en sortit académicien. Il se classa 2e du corps des étudiants. Il fut reçu comme boursier au collège de Standonck, comme élève pauvre.
 
 
Chanoine à Floreffe
     
 
     Il devint moine de l'abbaye de Floreffe le 15 novembre  1768, à l’âge de 20 ans, un an après sa sortie de l’université.  Il est « profès » (qui a prononcé les vœux) le 24 juin 1770, prêtre le 14 mars 1772, vicaire à Senenne en 1776, à Grand-Leez en 1780, sous-prieur de Wanze en 1784.
 
     Il fut sécularisé en 1788 pour motif de santé. [3]
 
 
P.J. DACHET et le sacerdoce
 
 
Il a rempli le ministère pendant près de 8 ans dans deux paroisses.
 
Il s’est longtemps défendu d’avoir jamais prononcé les vœux religieux, ni d’avoir jamais accepté, dans son for intérieur, le sacrement de l’Ordre.
 
A la question, comment avez-vous pu exercer le saint Ministère ? il répondit : « L’on me dit que j’étais prêtre, l’abbé (de Floreffe) m’employa dans le champs du père Céleste, je travaillai de mon mieux, j’exerçai la saint Ministère de bonne foi ».
 
 
Vicaire à Senenne
 
 
Dachet a laissé peu de traces dans les registres paroissiaux de Senenne, deux actes exactement et uniquement des baptêmes.
 
Sa première inscription dans les registres de cette paroisse, date du 24 août 1779, quand il baptise des jumeaux, Jérôme François et Laurent Joseph, fils de Jean François Lepage et de Marie Barbe Servais, nés à Houx.
 
Le 9 octobre de la même année, il baptise à Warnant (aussi paroisse de Senenne), Jean-François fils de Nicolas Biot et de Marie -Joseph Ronval.
 
 
Vicaire à Grand-Leez

 
 
Grand-Leez - Le Presbytère (Gouache de Robert Jandrain)
 
 
     « Est-ce pour cela que, le 21 juin 1780, huit mois après mon rappel de Senenne, l’abbé m’envoya comme vicaire, encore, dans une autre paroisse populeuse, sans que je l’eusse demandé, à Grandlez, au duché de Brabant, à l’ouest du comté de Namur, entre la ville de Gembloux et le village de St-Denis ?.......
 
     Frère Henri TELLIER en était le curé. Il était de Pesche, près de Mariembourg, en Champagne. Sa servante se nommait Berthe, Berthine, dans le pays ; sa nièce, Marie Josephe. Je remplaçai frère François Bertinchamps qui venait d’être nommé vicaire à Beaumont.Frère Henri Tellier mourut deux ans après. »
 
 
Dachet a baptisé
 
1er baptême, le 3 juillet1780 : Anne-Marie DARTE, fille d’Antoine et de M. Catherine  Monfort.


 
 
 
 
Pour 1781, il ajoute un titre, ainsi que les mois, dans la marge, rédige tous les actes de baptême sauf deux, le 29 août et le 8 octobre.
 
 


 
Il rédige son  dernier acte à Grand-Leez,  le 14 août 1784, à l’occasion du baptême de  Jean-Joseph Barbier fils de Jean-Joseph et de Catherine Herman.
 
On notera son écriture régulière, l’alignement des lignes et la régularité de l’espacement entre ces lignes.
 
 
 
 
Il a prêché, est monté à l’autel, a distribué la sainte communion, a confessé : « seulement les enfants que j’avois instruits et disposés à leur première communion. Je me défendois d’avoir confessé les adultes, je les envoyois tout bonnement à leur pasteur. C’est si mémorable que Frère Charles BULTOT, curé de Grand-Leez m’en a fait le reproche »
 
 
 
Signature de Pierre Joseph DACHET, vicaire
(extraite des registres paroissiaux de Grand-Leez)

 
On notera qu’il signe P.J. Dachet, vicaire ou desserviteur.  
 
 
 Dachet a marié des paroissiens
 
 
Il écrit : « Une fois ! Les contractants s’aimoient et étoient de bonne foi. L’époux nommé Joseph Calonne, m’a dit l’an 8 à Moustier-sur-Sambre, qu’il aimoit et étoit toujours aussi tendrement aimé de sa femme que le moment où je les ai unis. »
 
La mémoire de Dachet lui fait parfois défaut, il ne s’agit pas de Joseph mais d’Antoine François CALONNE.
 
Effectivement, on peut lire dans les R.P. de GL :
 
« Le 13 juillet 1783, se sont mariés en présence de moi soussigné et commissionné de Mr le Curé, après la publication des bans, Antoine-François CALONNE qui a obtenu le consentement de son père et Jeanne-Joseph JANDRIN, tous deux natifs et résidants de cette paroisse, en présence de Pierre François Calonne et de Jean Faucomont, tous deux de cette paroisse, témoins à ce requis ; Jean Faucomont seul sait écrire, marques du marié + de la mariée X et de + F. Calonne. Signé P : J : Dachet ViCaire » N.B. : Dachet prend soin de préciser qu’il est commissionné par le curé.
 
Nous savons qu’il est aussi inexact qu’il n’a marié qu’une fois puisqu’à Grand-Leez,  5 actes de mariage sont rédigés de sa main : le premier date du 6 janvier 1781 et concerne, Nicolas-Joseph Larivière de la paroisse de Sauvenière, domestique de cense, âgé de 31 ans et Jeanne-Joseph Faucomont, âgée de 30 ans et le dernier, du 7 janvier 1784, unissant Jean-François Delcore et Marie-Catherine Jadot de Bossière.
 
 
Il a administré les malades.  
 
 
Il célébra sa première messe de funérailles à  l’occasion du décès du curé TELLIER et continua jusqu’au 25 octobre1782 et en 1783, du 2 mai  au 13 octobre. Rien en 1780, 1781 et 1784.
 
C’est en fonction de son statut : « Le curé de Grandlez, Frère Henri Tellier, mourut le 6 juin 1782. L’Abbé me fit administrer la cure ; me donna Frère N. Laurent pour vicaire. Frère Charles Bultot, fut nommé à la cure de Grandlez dans le mois d’Octobre suivant. »
 
Joueur de piquet [4]

 
« Ce ne fut qu’à Grandlez que je pus me donner de l’argent.
 
Je gagnai en effet, de quoi remplir ma bourse, mais plus à jouer qu’à baptiser et à enterrer. Le dernier hiver que j’y passai, je gagnai plus de 50 écus du pays, rien qu’au jeu de piquet. Je parvins par là, à me faire une épargne de 132 écus de 6 francs. »
 
« Encore sous le coup de cette nouvelle révocation dont on ne me donnait pas le motif, je décidai de changer mes écus contre des louis. L’opération se fit avec le sieur Jacques SEVRIN, fermier de la ferme de notre abbaye à Grandlez. »
 
Jacques SEVRIN exploitait en effet, la cense de Converterie. Baptisé à Dave le 1er octobre 1727, fils de Jacques Severin et de Marie-Anne Philippart, il avait épousé à Grand-Leez le 25 février 1759, Marie-Joseph Gomand. Il est décédé à Grand-Leez le 15 avril 1806, à l’âge de 78 ans. Le couple eut 7 enfants dont deux filles, baptisées à Grand-Leez :
1.     Marie-Thérèse-Joseph, née le 16 janvier 1761, décédée le 24 août 1795 à l’âge de 34 ans ;
2.     Anne-Joseph, née le 26 août 1764 qui épousa à Grand-Leez le 19 mai 1786, Charles Dieudonné Severin ;
 
 
La lettre à la fille S.
 
 
« L’abbé  me rappela brusquement à l’abbaye par lettre du 20 août 1784. Frère Ferdinand RICHARD me remplaça. J’avais été vicaire à Grandlez pendant plus de 4 années et je me voyais ainsi révoqué et rappelé à l’abbaye pour la 2e fois ».
 
Dachet fit un petit détour avant de rentrer à Floreffe. « Je parti de Namur le 22 août ». Le même jour, il quitte Namur pour Anvers, où il arriva le 23 dans la soirée. Il rentre à l’abbaye de Floreffe,  le 27 août 1784
 
« Rentré à l’abbaye, je demandai à l’abbé, pourquoi il m’avait révoqué si brutalement ».  L’échange qui suit, entre les deux prélats,  est savoureux.
 
Il me répondit : « Parce que vous avez écrit une lettre passionnée à la fille S… »
 
-Quand aurais-je écrit à cette fille ?
 
-Il y a aujourd’hui, sept mois.
 
-C’était donc le 27 janvier ?
 
-Oui, monsieur. C’est sérieusement que je le dis ; vous lui avez écrit et j’en suis au désespoir.
 
- C’est une absurdité mal combinée, lui dis-je. Lui aurais-je écrit quand je pouvais la voir tous les jours à volonté ? Son père m’était attaché ; il m’invitait journellement et quand je n’y allais point, j’essuyais ses reproches et ceux de ses enfants. Mais enfin, cette fille n’était fiancée à personne ; elle ne fut jamais ma pénitente et son âge dit bien assez que ce n’était pas séduire l’innocence. Supposons même que je lui aurais écrit ; supposons même que je lui aurais fait la cour ; que j’aurais fait plus encore. N’étais-je pas un homme ? N’avais-je pas un cœur. Ne pouvais-je pas éprouver un sentiment d’amour ?
 
-Homme pervers !
 
- Doucement donc, monsieur l’abbé. Dites-le-moi intelligiblement : lui aurais-je fait un cardinal ? (un bâtard)
 
-Juste ciel !
 
- Et faudrait-il pour cela « anathémiser » ma conduite, la conduite exacte et sévère du vrai chrétien ? Non, assurément. (Tome 1 de ses mémoires pp.133 &134).
 
Il revient sur cet épisode dans le tome 2, pp.12 & 13 et fait preuve d’une réelle mauvaise foi en accusant l’abbé :
 
« L’Abbé répondit qu’il m’avait révoqué parce que j’avais écrit, disait-il, une lettre passionnée à une fille, il y a sept mois.
 
Je repris vivement : vous m’auriez donc laissé sept mois dans un commerce de galanterie, sans me retirer à l’occasion prochaine, sans m’avertir charitablement, sans me montrer les écueils pour les éviter à la suite. Ah ! Convenez.
 
Fut-il vrai que j’aurais écrit une lettre passionnée, je n’ai point donné de scandale, ni par la lettre en question, ni par tel autre genre d’inconduite ; car vous êtes venu plusieurs fois à Grandlez, depuis sept mois ; il n’y a pas quinze jours que vous y étiez encore ; vous ne m’en avez point parlé, vous ne m’en avez même point fait mention.
 
Cependant, averti que je scandalisais les pauvres d’esprit, j’eus réparé le scandale pris par une conduite plus circonspecte, plus soutenue, plus sage ; au lieu qu’en saisissant, comme tout exprès l’époque de la fête (la fête de Grand-Leez a toujours lieu le dernier dimanche d’août) pour me faire sortir honteusement du village, vous avez brusqué bien des décences, violé bien des droits et vous m’avez fait perdre l’estime, l’amour de ces bonnes gens que j’avais si bien mérité.
 
Il répondit : l’on m’a trompé. Je repris : l’on vous a trompé pour cette fille. »

 
 
 
Grand-Leez - Ferme de la Converterie - Porche d’entrée-
Photo JM Defense

 
 
Dans les faits et charges qui lui seront reprochés par l’abbé de Floreffe en avril 1788, on lit en premier lieu :
 
-Que ce religieux ayant été nommé par son abbé comme vicaire des la paroisse de Senenne et ensuite dans celle de Grandlez, celle-ci distante de 3 lieues de Floreffe, sa conduite peu édifiante a obligé son abbé de le retirer de l’une et de l’autre paroisse ;
 
 
-Que pendant qu’il était vicaire à Grandlez, il a écrit à une fille très honnête de la paroisse sous la date du 27 janvier 1784, une lettre très passionnée pour l’engager à condescendre à ses infâmes désirs.
 
-Que les mêmes motifs ou à peu près, qui avaient obligé son abbé de le retirer de Senenne et de Grandlez, l’ont également obligé de le rappeler du prieuré de Wanze où il était arrivé le 14 septembre 1784.
 
Dachet rapporte encore :
 
« L’abbé de Floreffe Fromenteau, déclare qu’il soupçonne en moi une passion dominante. « J’ouvre les papiers qui concernent votre histoire et j’y vois vos manières scandaleuses, d’une servante, d’une fille de cense à Grandlez, d’une grosse femme à Wanze » écrit-il. »
 
        Même si nous ne pouvons l’affirmer avec certitude, tout porte à croire que la fille S. était une fille du fermier Jacques SEVRIN, tenancier de la cense de l’abbaye de Floreffe à Grand-Leez. Nous en voulons pour preuve les excellents rapports que Dachet entretenait avec cette famille, la seule dont il parle dans ses mémoires.
 
Laquelle des deux filles eut à subir les avances de Dachet ? On penchera pour Marie-Thérèse, restée célibataire et décédée à 34 ans seulement. A son propos Dachet écrivait : « son âge dit bien assez que ce n’était pas séduire l’innocence ». En effet, elle avait 23 ans au moment des faits.  Celle-ci fut probablement victime du scandale provoqué par la fameuse lettre, d’où son célibat. Les raisons de la révocation du vicaire étaient certainement connues de tout le village.

 
Une histoire de fusil

  
« Mr le curé de Grandlez m’écrivit il y a quelques mois que je lui avois volé son fusil (c’est l’unique faute de conséquence qu’on m’a jamais individuellement imputée, l’unique par conséquent à laquelle j’ai cru devoir m’attacher pour mes justifications ; car ailleurs les clameurs vagues, aussi indéterminées qu’absurdes dont on s’est servi quelques fois et que j’ai méprisées, annonçoient plutôt la mauvaise humeur de mon supérieur que mes fautes réelles). J’étois à Wanze de peu de jours, quand je reçus cette lettre détestable dont le souvenir seul agiteroit l’homme le plus modéré (la copie authentique de cette lettre, de même que la copie de deux lettres que j’écrivis à monsieur l’abbé pour ma justification, se trouve chez Mr. Hubin, médecin à Gembloux, en Brabant), je pars aussitôt pour Floreffe, j’étois assuré de mon innocence. Arrivé à une demi-lieue de Floreffe, j’aperçois monsieur l’abbé, je lui montre cette lettre et puis, il me dit d’un ton accablant : « Hé bien, n’a-t-il pas raison, je ne m’embarrasse pas de vos affaires » Quoi me voilà encore insidieusement inculpé. Je quitte monsieur l’abbé, je retourne chez moi sans aller à Floreffe, d’où je m’empresse sans répondre à monsieur le curé de Grandlez, de me justifier vis-à-vis de mon supérieur. J’écrivis donc deux lettres consécutivement que  M. le curé de Grandlez est dans son tort, puisque je désoignois le tems, le lieu et la personne à qui il avoit prêté son fusil, et M. le curé de Grandlez (suivent les mots barrés : « qui m’écrivit ces deux lettres imprudentes » et remplacés par : pouvoit-il ignorer qu’il l’avoit prêté puisqu’il voïoit habituellement la personne à qui il l’avoit prêté ; mais il avoit assurément oublié que j’étois présent quand il lui prêta, ou qu’il m’en souvint. Qu’arriva-t-il pour m’être trop bien justifié ? Il arriva que le curé de Grandlez m’écrivit une seconde lettre tout aussi imprudente que la première, que je méprisai comme j’avois fait de l’autre, sans y donner réponse. Monsieur l’abbé me donna pour toute réponse que si je ne m’arrangeais pas mieux à Wanze que je ne faisois, il alloit me faire revenir au dortoir. »
 
Bien qu’enfermé au couvent des Alexiens en 1788, il garde des contacts avec Grand-Leez : « Le 12 juillet 1791, le frère Jérôme que je consultai me dit qu’il n’était pas au courant d’une visite des frères de Floreffe, mais qu’il savait que le curé de Grandlez et le prieur de Floreffe étaient venus à Bruxelles.

 
Aimé de ses paroissiens

 
« A Senenne et ailleurs,  où j’ai été employé, je jouissais de la réputation d’un zélé vicaire et d’un bon religieux. J’en appelle aux témoignages des paroissiens de Senenne et de Grandlez avec qui j’ai vécu 9 ans et dont j’ai emporté les regrets. Ils s’empresseront tous, j’ose m’en flatter, de me donner le témoignage le plus flatteur. Non, je ne doute pas que je sois encore cher à leur souvenir, ils m’ont donné des preuves trop marquées de l’intime affection qu’ils avaient pour moi. »

 
Un soutien inattendu

 
Quelques années après son départ de Grand-Leez, Dachet reçoit cette lettre que nous reproduisons :
« Pesche, le 14 septembre 1788
Aujourd’hui 13 7bre, j’ai remis votre placet [5] qui sera tenu en mains propres de son Altesse. Votre lettre en date du 10 août n’est point parvenue à sa destination, aussi on ne pouvait point vous faire réponse. On fera ce qu’on pourra pour faire réussir cette affaire. Dans le mois d’octobre se rendra à Paris une cousine de la gouvernante des enfants de France qui, avec sureté, appuiera cette affaire auprès de son altesse à la recommandation de la personne qui vous a écrit dernièrement. Entre tems, préparez ce qu’on vous a demandé.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre humble servante. »
 
Signé : M.J. Baudry.[6]
 
Note de Dachet : « Marie-Josèphe Baudry a demeuré deux ans et demi avec moi à GrandLez chez F. Henri Tellier, son oncle ; elle eut fait l’impossible pour briser mes fers ; mais j’étais dans la fosse aux lions ; il fallait une main toute puissante pour m’en tirer. »
                                                                          
 
Réclamation

  
Dans ses œuvres[7], Dachet écrivait :
 
« On sait que j’estimais pouvoir réclamer à l’abbaye de Floreffe, un dommage de 150 florins par jour d’internement arbitraire. » Dachet considérait en effet, les années passées au service de l’abbaye comme un séjour en prison ! « En lui abandonnant les 50 florins mentionnés ici, elle (l’abbaye) me devait encore 100 florins par jour, soit pour 1884 jours et demi, un total de 188.450 florins. »

 
 
Un patrimoine immobilier

 
     Fort de cette hypothétique rente, Dachet s’intéressa à la vente des biens du clergé. (Décret de l’assemblée Nationale du 2 novembre 1789 : les biens du clergé, devenus biens nationaux, furent vendus pour renflouer les caisses de l’Etat) Il justifie son intérêt d’une part, par sa faible pension : « elle suffisait à peine à me substenter, à m’entretenir et à contenter mes avides créanciers » mais aussi « parce que le bien de l’Eglise est le bien des pauvres. J’étais réduit à l’indigence ; il n’y avait point, dans toute la France, un homme plus pauvre que moi. Ne pouvais-je point me donner du pain pour ce jour-là et pour le lendemain ? Ce n’était point là envahir le patrimoine de St Pierre,  ce n’était point dépouiller une église particulière, mais seulement ramasser un petit morceau dans le naufrage général : un louis par semaine, pas plus… »     
 
     Au début de l’automne de 1796, le citoyen Carbonel, directeur de l’Enregistrement vérifia qu’il restait bien inscrit sur l’état des religieux de Floreffe. « En conséquence, tout aussitôt  je reçus un bon de retraite d’une valeur de 15.000 francs. Le 20 de ventôse an V (12 mars 1797), je reçu aussi mon certificat d’inscription civique. Nanti de ces deux documents, il m’était permis d’acquérir des biens du Domaine.»
 
     Tout naturellement, il se présenta à la vente des biens dépendant du Bénéfice [8] Ste Marie Madeleine de Petit-Leez.
La première séance de la vente des biens du Bénéfice, comme biens nationaux, eut lieu le 29 ventôse an VI (19.3.1798) à 10h du matin.
 
Description : « Lesquels biens consistent en :
 
- Une maison composée de 4 places au Rez de chaussée, avec grenier, écurie et un journal de jardin, tenant du levant au citoyen DRUHOT, du midi au sentier, du couchant au chemin et du nord à la veuve Gilles DENIS.

 
 
Procès-verbal de la vente de biens domaniaux à Petit-Leez (A.E.N. n° 2183 Grand-Leez)

 
   - Quatre bonniers trois journaux de terres et prairies divisés en 5 pièces.
 
     Le tout situé sur le territoire de la commune de Petit-Lez ainsi qu’il est exploité sans bail par le citoyen Simon PORTIER et ainsi qu’il est désigné aux procès-verbaux d’estimation sous la date du 24 pluviôse et 4 ventôse an VI.
 
Les biens appartenant à la République comme venant du bénéfice Ste Magdelaine…… »
 
« Et de suite, le commissaire du Directoire exécutif ayant donné lecture de laditte affiche, des détails y portés sur la consistance de l’objet mis en vente, et des clauses, charges et conditions détaillées ci-dessus, nous avons ouvert les enchères sur la somme de 3.840 livres qui est le montant de 15 fois le revenu. Personne ne s’étant présenté pour enchérir, l’administration du Département a clos le présent procès-verbal. »
 
La séance d’adjudication définitive eut lieu le 9 germinal an VI (29 mars 1798)
 
« Nous administrateurs du Département de Sambre et Meuse, accompagné du citoyen Chauteau commissaire du Directoire exécutif près notre administration,  nous étant rendu dans la salle des ventes, nous avons annoncé que, d’après la publication faite par l’affiche du 19 ventôse dernier apposée à cet effet…il allait être procédé à l’adjudication définitive d’une maison, quatre bonniers trois journaux de terres et prairies situés sur le territoire de la Commune de Petit Lez provenant du cidevant Bénéfice Ste Magdelaine…. nous avons ouvert les enchères sur la somme de 3.840 livres qui est le montant de 15 fois le revenu »
 
« En conséquence, nous avons fait allumer un premier feu, pendant la durée duquel il a été offert par le citoyen SANA, la somme de 5.000 livres, par le citoyen DACHET, la somme de 10.000 livres, par le citoyen SANA celle de 15.000 livres. »
 
« Il a été allumé successivement 4 feux pendant la durée desquels, il a été offert jusqu’à la somme de 122.300 livres. »
 
« Et il a été allumé un 6ème feu ; lequel s’est éteint ; sans que pendant sa durée il ait été fait aucune enchère, l’administration du Département a adjugé au citoyen Pierre-Joseph DACHET demeurant en la commune de Namur, canton de Namur, département de Sambre et Meuse. »
 
Le même jour, il acheta pour 211.000 livres, les biens du Bénéfice Ste Marguerite contenant 14,5 bonniers, divisés en 17 pièces, sur le territoire des communes de Grand et Petit-Lez, ainsi qu’elles sont exploitées, sans bail, par le citoyen Simon PORTIER. Il s’est donc engagé ce jour là, à payer un total de 333.300 livres ! Curieusement, ces acquisitions ne sont pas rapportées par Noël ANSELOT[9]. Sans doute Dachet n’en parle-t-il pas dans ses mémoires, vu le fiasco qui résulta  de cette opération spéculative.
 
Dachet n’en était pas à son coup d’essai, il avait déjà sévi quelques jours auparavant, le 19 ventôse an VI (9 mars 1798). A cette date, il s’était porté acquéreur de prairies, situées à Tamines, provenant de l’abbaye d’Oignies. « Ces prairies me coûtèrent 2.280 livres tournois ».
 
Déjà, dans le courant de 1797, il avait fait plusieurs acquisitions de biens nationaux.
 
Le 28.2.1797, il fut déclaré adjudicataire par erreur ( !), du refuge de l’abbaye de Granpré à Namur, qu’il revendit au citoyen Pommier de Paris. Le  6.3.1797, il fit l’acquisition  de l’ancien couvent des Bénédictines, rue de Bruxelles à Namur. Le 13.3.1797, il devint propriétaire de la ferme de l’abbaye de Granpré à Wierde pour 85.000 francs. Enfin, le 30.3.1797, il jeta son dévolu sur les biens du chapitre de Moustier, consistant en une maison abbatiale, une église y attenant, un jardin contenant 3 journaux, 50 verges de prairie en deux pièces, appelé « le Clos Madame ».
 
En fin de compte, il ne put garder que la ferme de Wierde et les prairies de Tamines.
 
Le paiement se faisait rarement comptant. L’acquéreur souscrivait le plus souvent des obligations. Pour les biens acquis à Moustier, Dachet en avait souscrit huit, en sus du montant payé lors de l’adjudication.
 
N’ayant pu acquitter le prix d’achat d’immeubles, Dachet fut déchu de ses droits par arrêté du préfet de Sambre-et-Meuse du 18 pluviôse an IX (6 février 1801) et du 21 janvier 1811.
 
Les biens du Bénéfice acquis par Dachet furent revendus, le 5 vendémiaire an 9, au Sieur Meunier, qui lui-même les abandonna au profit de Henri-Helman de Grimberghen, baron de Longueville, époux de Marie-Thérèse Le Clément de Taintignies, propriétaire du château de Petit-Leez.
 
Finalement, Dachet fut déclaré fou par le synode de Liège et renvoyé. Pas plus que N. Anselot, nous n’avons trouvé trace de son décès. Un auteur le déclare mort à Paris en 1820, un autre à Charenton (un asile d’aliénés) et un dernier prétend qu’il finit sa vie à Liège en 1839, à l’âge de 91 ans !
 
Le mystère de ses origines subsiste.
 
     
 
     Noel ANSELOT a réuni tous les indices laissés tant par Dachet que par plusieurs témoins. Parmi les arguments il écrit : « Ne faut-il pas s’étonner de l’extraordinaire patience, des traitements somme toute privilégiés dont bénéficia le moine de Floreffe de la part de ses supérieurs, tant belge que français pendant plus de 20 ans. Qu’on songe aux milliers de livres dépensées pour assurer son existence …. Qu’on se souvienne des dizaines de lettres courtoises, même affectueuses, qui lui furent envoyées par ses abbés pour l’amener à regagner son abbaye.»
     « Il n’a jamais fait partie de la famille dont il portait le nom. »
 
     « De ce que nous connaissons de son apparence, il n’avait aucun trait des Dachet dont il portait le nom »
 
     Il conclut : « Devant ces indices, qui s’enchevêtrent et se renforcent mutuellement, comment s’empêcher de croire, et c’est bien notre sentiment au terme de cette longue course, que notre Pierre-Jh Dachet, était, en réalité, un bâtard non reconnu de grande maison. L’ensemble des circonstances permet de penser, raisonnablement, qu’il était un enfant naturel, né en France et devenu Namurois. »
 
     Et Pierre Chaunu qui rédigea la préface du livre de Noël Anselot d’ajouter : « Il n’est pas absurde de supposer que ce curieux personnage fut bien un bâtard non reconnu d’une grande famille, rien ne permet de trancher, pas mal d’indices vont dans ce sens ».
 
     A vous, de vous plonger dans le libre de Noël Anselot, pour vous faire une idée. Et si vous avez du temps, les six volumes du « Tableau Historique… » sont en accès libre sur le site Gallica (2363 pages !).

  
Nota Bene : le portrait-robot de P.J. Dachet a été réalisé, à la demande de N. Anselot, par R.Aubry de la brigade spéciale de recherches de la gendarmerie. Il s’est inspiré des indications mentionnées sur les passeports qui le décrivaient : « grand (1,78 m environ), fort et même corpulent, avec une grosse tête, aux cheveux noirs, aux yeux bleus, au nez et à la bouche moyens ». Sa ressemblance avec les Bourbons, s’il faut en croire Dachet, a sans doute également influencé le dessinateur.

 
 
Références :

 
 
Noël Anselot ne fut pas le seul, ni le premier, à s’intéresser à Dachet.
 
J’ai repéré :
 
- Quérard dans ses « Supercheries dévoilées, tome II de 1834 ;
 
- Alphonse Polain, qui a consacré à d’Aché, un article dans le « Bulletin des Bibliophiles » (Vè série)-1842- pp.366 à 369 ;
 
-« Histoire des fous littéraires » d’Octave Delepierre, Londres-1860, pp. 94 à 98 ;
 
- « Les fous littéraires : essai bibliographique sur la littérature excentrique, les illuminés visionnaires, etc. » par Philomneste Junior (Pierre-Gustave Brunet) Bruxelles-1880 ;
 
- Maurice Garçon a publié dans la « Revue des deux Mondes », tome 33 -Paris- 1936, pp. 349 à 366, un article intitulé : « Les tribulations d’un faux Dauphin » ;
 
- Dans la revue « Wallonia » de mars 1913, M. Courtoy a fait part du résultat du dépouillement de documents conservés aux Archives de l’Etat à Namur (Fonds du Conseil provincial, correspondance du Procureur-général à la date du 13 février 1788) ;
 
- Henri HEUSE a écrit une courte notice sous le titre : « Un conspirateur à Voroux-Goreux sous le Premier empire », dans  La Vie Wallonne de 1925 ;

- Les Cahiers Wallons Nouvelles glanes 13, 14 et 15.
 
 
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[1] Noël ANSELOT- Le moine belge qui se disait Roi de France – Mémoires insolites -Editions France-Empire Paris 1984 ;
Noël Anselot, père spirituel du village du livre de Redu, est décédé à l’âge de 92 ans, le 12 janvier 2017.
[2] Frappecu : « hameau situé à 2 lieues et demie au-dessus de Namur, sur la rivière de Meuse », précise-t-il.
[3] V. Barbier, Histoire de l’abbaye de Floreffe, 1892, I, p. 452.
 
[4] Le Piquet :
Joueurs : 2 Joueurs ; Matériel : 1 jeu de Piquet de 32 cartes.
L’ordre des cartes est l’ordre classique : As, Roi, Dame, Valet, Dix, Neuf, Huit, Sept.
L’As vaut 11 points ; le Roi, La Dame, Le Valet et le Dix valent 10 Points chacun ; le Neuf vaut 9 points, le Huit 8 points, et le Sept 7 points. La valeur des cartes n’a de l’importance qu’à un seul moment de la partie. Les joueurs fixent au début le nombre de points à atteindre pour gagner la partie, 100 généralement.
Le jeu de Piquet se décompose en trois temps :
-          L’écart, où les joueurs modifient leurs jeux ;
-          Les annonces, où les joueurs marquent des points en fonction de leurs cartes ;
-          Le jeu de la carte, où les joueurs  tentent de faire le plus de plis possible.     
[5] Placet : acte de procédure comportant les références à une affaire ;
[6] Marie-Josèphe Baudry était probablement née à Pesche, le 18.11.1758, fille de Jean-Joseph et de Marie-Marguerite-Josèphe Tellier ;
[7] Outre Le « Tableau historique des Malheurs de la Substitution par M. D’Aché,  à Voroux-Goreux chez l’auteur »  en 6 volumes, in-8°, 2363 pages,  il fit imprimer à Paris en 1817 : « Réclamation de Louis-Joseph-Xavier (d’Aché) contre la spoliation de ses biens »,  in-8° de 58 pages.
[8] Sous l’Ancien Régime, le bénéfice ecclésiastique était un ensemble de biens destinés à financer un office religieux. Il devait permettre au titulaire de la charge (le bénéficier) d’en vivre et d’agir ; Source : Wikipedia.
[9] Noël ANSELOT précité, p.186 à 192
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