suite 3/3
30. Visite chez le bourgmestre.
A la fin de l’année 1918, ma mère rendit visite au bourgmestre Jean-Baptiste HENRARD dans le but de lui remettre les livrets militaires des français et de le prier d’effectuer les démarches qui s’imposaient en pareille circonstance. L’un est mort, lui dit-elle, il est enterré dans notre jardin ; l’autre est vivant et se trouve chez nous.
Dites-lui de venir lui-même, bougonna-t-il.
Cela est impossible, dit ma mère, il est au lit, il a la grippe espagnole.
Dans ce cas, apportez-moi un certificat médical, je verrai si je peux faire quelque chose.
Le ton était cassant et sec. Le salut de ma mère avant de quitter le bureau n’eut pas de réponse. On pourrait s’interroger sur les raisons de cette agression soudaine. Etaient-ce les soucis dus à l’épidémie de grippe ? Ma mère lui révélait son patriotisme, son amour pour la patrie qu’elle avait bien servi aux prix d’inestimables sacrifices. La vérité, c’est que le bourgmestre ignorait tout ce qui s’était passé chez moi, pendant quatre années au sein de la commune qu’il administrait.
Pourquoi ne lui avait-on rien dit ?
Pourquoi le premier magistrat de la commune n’avait-il pas reçu la moindre confidence au sujet des français cachés chez moi ?
Les événements qui se sont succédé ensuite donneront peut-être une explication à ce manque de politesse et d’urbanité. Il faut bien s’imprégner de la mentalité des administrateurs publics de l’époque. Investis d’une mission importante que définissait parfaitement la loi communale, ils usaient et abusaient de leurs prérogatives.
Ils ne se croyaient pas un instant au service du public ! Au contraire, ils s’adressaient à leurs « sujets » avec condescendance, leur faisant sentir que la moindre tâche, le moindre service pouvaient leur être refusés s’ils en décidaient ainsi. Ces potentats qui usaient de leur pouvoir de façon despotique ont pratiquement disparu aujourd’hui.
C’est ce que leurs successeurs affirment.
Pourtant, il en existe encore. Seules les méthodes ont changé mais il ne faut pas être grand clerc pour s’en apercevoir tous les jours.
Adressez-vous donc au guichet d’une administration publique !
31. Visite au bureau du ravitaillement.
Le chef du bureau, monsieur GOBERS 48, n’avait pas d’habileté, pas d’adresse à se faire valoir, pas d’entregent. Cependant, il était généralement serviable.
Ma mère demanda…
Puis-je obtenir des timbres pour le soldat français qui est chez moi ?
Voici la réponse de monsieur GOBERS…
Qu’il aille se faire ravitailler par l’armée française ; je n’ai rien à voir avec lui.
Le propos était fondé, sans doute, mais l’agressivité du moment avait les mêmes causes que celles du bourgmestre. Plus les décès dus à la grippe espagnole !
Ce qui générait la colère vis-à-vis de l’interlocutrice, c’était le fait qu’elle avait soigné et gardé chez elle deux français blessés dont un pendant quatre longues années. Et que le bourgmestre et lui n’en avaient rien su. Ils avaient été tenus volontairement à l’écart nonobstant les conséquences graves pour eux et la population de la découverte de cette action patriotique.
Le médecin même qui les avait soignés avait gardé bouche cousue.
C’était une gifle pour eux, qui croyaient que leur attitude de réserve était appréciée par tout le monde.
48 Monsieur Gobers : brasseur à la rue de la Bêchée. On m’a dit qu’il était originaire de Boom ou des environs d’Anvers.
32. Pierre est emmené à Paris.
Un dimanche après-midi, une camionnette militaire française, pas en très bon état, vint chercher Pierre pour le conduire dans un hôpital à Paris. Le conducteur et un infirmier français trouvèrent notre soldat en mauvais état et promirent à tous les témoins du départ d’en prendre le plus grand soin.
Ma mère, ma sœur, mes oncles et moi-même, qui avais dormi avec lui plus de trois années, étions en pleurs et ne savions répondre à la question qui revenait sans cesse : comment retarder ce départ ?
Qui avait donné cet ordre formel de le transporter à Paris ?
Et pourquoi Paris, il y a quand même des cliniques non loin de la frontière ! Et cet ordre, de qui venait-il ?
Des jours et des mois durant nous nous sommes posé ces questions. L’armée était-elle au courant de son état de santé ?
Malgré les soins prodigués à l’Hôpital de Paris, Pierre mourut après avoir revu ses parents, sa fiancée et quelques amis. Les marques de gratitude que nous envoyèrent ensuite ses parents furent un réconfort pour chacun de nous. Régulièrement du courrier nous parvenait qui nous priait d’expliquer où et comment il avait vécu, ce qu’il faisait, ce qu’il mangeait, comment son pied s’était rétabli.
Qui avait payé le docteur qui l’avait soigné ?
Comment avait-il accepté cette longue captivité ?
Et sa blessure, comment est-ce réellement arrivé ?
Car Pierre avait bien donné des explications à ses proches, mais fiévreux il leur demandait d’attendre qu’il soit en meilleure posture. Et il promettait de les intéresser pendant des jours, de nombreux jours…
J’étais chargé de répondre, sans attendre, aux missives que nous envoyaient les parents qu’une vive douleur soumettait à ce devoir pénible. Mes longues lettres, sur lesquelles figuraient invariablement quelques lignes de la main de ma mère, leur apportaient, disaient-ils, consolation et réconfort. Ils voulaient à tout prix nous dédommager mais ma mère opposait à leurs propositions un refus formel. Au fil du temps, nos échanges s’espacèrent pour faire place après quelques années, à des vœux de Nouvel An.
Ainsi va la vie sans doute, mais le souvenir de Pierre ne s’effacera jamais de ma mémoire.
33. Occupation du village par les soldats anglais.
Le village fut occupé par les anglais vers la fin de l’année 1918. Je ne sais si c’est à leur initiative que furent organisées les funérailles solennelles de Jules ou si les protagonistes de l’événement furent les autorités locales. Jules était décédé en décembre 1916 et comme vous le savez enterré provisoirement dans notre jardin.
Je vous ai raconté comment m. SIMONET avait construit la caisse, car ce n’était pas vraiment un cercueil, et comment Pierre, une nuit de décembre avait voulu la ramener, seul, du voisinage de l’hospice où se trouvait l’atelier de m. SIMONET, chez nous, à travers champs. C’était, disait-il, son témoignage de l’amitié qui le liait à Jules. Ce qu’on peut dire, c’est que la préparation des funérailles fut faite par les anglais avec rigueur et dans le respect absolu de nos usages.
Le soldat HODGKINSON, lui, a trouvé suffisant son temps de séjour chez nous pour courtiser puis épouser une fille de Grand-Leez.
Un fils unique est né, en Angleterre, de cette union : Eric. Il habite 31 Barnhall Avenue, COKCHESTER ESSEX c.o. 28 te ENGLAND.
Malheureusement, il a gardé peu de souvenirs du séjour de son père dans notre commune. Pourtant, me dit-il, mon père en a souvent parlé, ma mère aussi, mais à cet âge-là, on oublie vite.
Tout petit, j’ai passé plusieurs vacances à Grand-Leez et peut-être ma faculté d’entretenir des conversations en français vient-elle de là ? En tout cas, j’ai gardé le meilleur souvenir des habitants de Grand-Leez.
34. Funérailles solennelles de Jules le 9 février 1919.
Ce furent vraiment des funérailles majestueuses et solennelles. Quelques soldats anglais vinrent enlever le valeureux soldat du tombeau provisoire où il dormait paisiblement dans notre jardin depuis le 11 décembre 1916.
La caisse qu’avait fabriquée m. SIMONET, dans son atelier de la rue de la Marache avait été, rappelez-vous, ramenée la nuit par Pierre et revêtue par les oncles Jules et Ernest d’un couvercle mobile.
On l’ouvrit et Jules apparut tel qu’on l’y avait déposé avec des vêtements et des couvertures restés inchangés. De pénibles constatations cependant nous arrachaient le cœur : la barbe, en effet, avait plus de 5 cm et les ongles des mains une grandeur étonnante.
L’officier anglais donna sans attendre des ordres aux soldats qui se placèrent entre la caisse et le cercueil tout neuf qu’on venait d’amener.
Comme à l’exercice, ils relevèrent la tête en signe d’acquiescement et à son ordre chacun pris la place qui lui avait été précédemment désignée. La prise de corps fut exécutée à la perfection, comme un exercice militaire, cent fois répété. A hauteur de la tête, deux soldats placèrent chacun une main en dessous de la tête et de l’épaule. Deux autres, entouraient de leurs bras la poitrine inerte. Les deux derniers enfin les jambes et les pieds. Le corps fut soulevé avec précaution au moment où l’ordre bref de l’officier retentit et il fut placé dans le cercueil avec la rigueur qui caractérise parfaitement l’exécution des exercices militaires par les soldats anglais.
Le cercueil fut refermé rapidement par le menuisier et placé sur un affût de canon qui transporta Jules jusqu’à l’église.
Le cortège s’arrêta à l’entrée du chemin qui conduit à l’édifice religieux.
Soixante soldats anglais rendaient les honneurs lorsqu’on conduisit lentement et solennellement le cercueil à l’église. Il était porté sur les épaules de militaires anglais, tous de même taille. Sur le trajet de 2 km qui séparait la mortuaire du village, on avait entendu les musiques militaires anglaises et les fanfares de Lonzée et de Grand-Leez qui interprétaient des œuvres classiques fort appréciées en pareille circonstance. Les cuivres étaient perçus à des kilomètres à la ronde.
Ils glaçaient les corps des participants engendrant tout à la fois tristesse, nostalgie, et fierté.
Monsieur le curé SIMON accueillit le cercueil avec respect et entonna les premières oraisons funèbres. Préludant à des chants funéraires, la chorale nombreuse entama des cantiques dont le refrain était repris à pleine voix par la foule. Les orgues puissantes ne cessaient de résonner puis elles finirent par mourir en sons languissants et tristes. Le célébrant prononça ensuite une homélie vibrante et pathétique.
La foule écoutait religieusement et à l’évocation des souffrances qu’avait subies notre soldat français, beaucoup de femmes essuyaient leurs larmes. D’autres, avec émotion, pétrissaient un petit mouchoir dans le creux de la main. A la célébration de l’Eucharistie, les clairons sonnèrent au champ pour rendre au défunt les honneurs militaires. A la fin de l’exercice religieux, le cortège se mit en route pour conduire Jules au cimetière où une place d’honneur lui était réservée.
Grâce en soit rendue aux organisateurs !
Quelle solennité ! D’abord, l’affût de canon où se trouvait le cercueil revêtu des drapeaux français et belges, remplis de fleurs malgré le froid de février.
Ensuite des militaires anglais portant fièrement leur arme et défilant lentement comme à la parade.
Tombe_Jules_Hazera02
Tombe de Jules Hazera d’Ostens Gironde France 32è régiment des Dragons mort pour la France à Grand-Leez le 16 décembre 1916
Nous n’oublierons pas,
entendait-on, cet hommage rendu au soldat français par des Anglais, par nos
concitoyens, le clergé et les autorités civiles de notre localité.
Les communes
voisines, faut-il le rappeler, avaient aussi envoyé de nombreux participants.
Et tandis que la foule s’égaillait, une femme seule, toute de noir vêtue,
marchait éloignée de la multitude et discrètement essuyait ses larmes.
Ci-après, copie d’une
lettre dont l’auteur m’est inconnu et adressée à la sœur du défunt. Elle n’est
pas datée.
« Madame,
Nous nous faisons un devoir
de vous décrire avec le plus de justesse possible la manière dont furent
célébrées les funérailles de votre cher frère regretté qui eurent lieu dimanche
le 9 février.
Sa
chère dépouille fut enlevée de chez madame Renoir vers 2 ¼ de l’après-midi ;
elle fut portée par six soldats anglais.
Une
foule innombrable l’accompagnait dans son parcours vers l’église, durant lequel
la société de musique belge rendait gloire au brave soldat par une marche
funèbre choisie en son honneur.
Des
drapeaux représentant la Belgique, l’Angleterre et la France le devançaient de
quelques mètres, indiquant ainsi le respect que doivent ces trois puissances à
ce cher défunt.
Les
voûtes de l’église retentirent de marches et de chants, qui, se dissipant en
échos, portaient le respect pour ce cher mort jusqu’aux seins des âmes.
A
la sortie, les soldats anglais, au nombre de 60, rendirent les honneurs devant
le cercueil, pour ensuite l’accompagner à sa dernière demeure.
Il
fut tiré 36 coups de fusils aux bords de la tombe, pendant que la foule
arrosait de ses larmes la terre sainte, qui bientôt allait l’ensevelir.
Un
dernier adieu lui fut adressé par une marseillaise exécutée par la société
belge, accompagnée des clairons anglais.
C’est
alors que, le cœur serré de douleurs, se retira le public en emportant un
tendre souvenir d’un être cher, perdu à jamais.
Au nom de la population de
Grand-Leez, nous vous prions, chère Madame, d’accepter nos plus sincères
condoléances. »
35. Les rumeurs.
J’aurais souhaité qualifier les nouvelles qui se répandaient dans le public après l’enterrement de Jules. Et dès lors expliciter plus amplement le titre comme on me l’a appris à l’école.
Jugez-en.
Comment cette famille a-t-elle pu les nourrir ?
Comment ont-ils réussi à les cacher ?
Que faisaient-ils le jour ?
Où dormaient-ils ?
Et s’ils étaient malades qui les soignait ?
On sait maintenant que le docteur LARIVIERE ne venait pas seulement nous rendre visite pour apporter des soins à ma mère ou d’autres membres de la famille. Plusieurs fois, je me suis mis au lit, sur son ordre, lorsque l’un de nos soldats était malade. A telle enseigne d’ailleurs que quelques familles s’en inquiétaient et interrogeaient ma mère avec la plus grande sincérité. Va-t-il mieux ? Est-il guéri ? Oui, c’est oublié, il a toujours eu la gorge sensible disait ma mère.
Chacun souhaitait satisfaire sa curiosité et à force d’épiloguer sur le sujet, on en vint à s’interroger sur les frais qu’avait occasionnés l’enterrement solennel de Jules. Qui va payer, se disait-on ? Quelques habitants de Grand-Leez décidèrent de faire une collecte afin de réunir les fonds pour défrayer les organisateurs. Elle rapporta 820 frs. On paya l’enterrement, le service religieux et certaines dépenses habituelles en pareille circonstance.
Mais on ne sut jamais s’il subsista un solde. Personne ne fut tenu au courant. Dieu seul sait pourquoi ? Ma mère en conçut un vif ressentiment que les années ne réussirent à estomper que partiellement. Au moins, on aurait pu m’informer, me disait-elle.
On pourrait croire que mes petites histoires, mes récits s’arrêtent ici se terminant en apothéose. Hélas, la police judiciaire nous rendit visite estimant que peut-être les soldats français étaient des déserteurs. Ce fut le docteur LARIVIERE qui mit fin, avec autorité, à cet imbroglio inénarrable, cette aventure surprenante.
Les habitants de Grand-Leez continuaient à s’interroger entre eux. Qui a payé le médecin, les médicaments ? On peut les rassurer. Ce sont les produits de l’activité agricole et du jardin qui ont répondu aux besoins primaires de toute la maisonnée. Quant au docteur LARIVIERE, ses prestations étaient gratuites. Imaginez pourtant le trajet qu’il devait faire pour atteindre notre maison, 3 km par tous les temps, par un chemin de terre battue.
J’en profite pour lui réitérer mes remerciements et rendre hommage à son honnêteté, son courage, sa générosité et son culte permanent des vraies valeurs.
36. La belle figure de Désiré LORGE.
Dans le village, des personnes suggéraient que des interventions soient faites auprès du gouvernement français en vue d’obtenir une reconnaissance officielle du civisme exemplaire des membres de ma famille. En effet, que serions-nous devenus si l’ennemi avait appris que nous détenions 2 militaires français ?
En pareille circonstance, ce sont généralement les autorités régionales ou locales qui effectuent les démarches car en cas de succès, il est important de s’en prévaloir en période électorale par exemple. Des résultats ? Aucun. Des démarches ? Peut-être. Mais personne n’en détenait la preuve.
Ce fut un ouvrier, Désiré LORGE, qui écrivit directement au Ministère de la Guerre français. Et obtint une réponse. Elle nous parvint le 17 août 1923. Vous avez bien lu ? Oui, elle nous parvint cinq longues années après l’Armistice. Vous la trouverez en page 70.
Le 7 septembre 1923, ce fut le Ministère belge de la guerre qui nous adressa ses félicitations ! Voir lettre page 71.
A l’administration communale, on lui disait...
Encore ! Vous voyez bien que vous n’aboutirez à rien.
Mais Désiré s’obstinait. Il réclama 12 fr. par jour aux autorités françaises qui lui avaient fait parvenir leur accord de principe et de nombreux documents à faire remplir par les autorités communales. Elles suggérèrent 2 fr. par jour ! Munis de la signature du bourgmestre et du sceau de la commune, les documents furent remis à Désiré qui en discuta violemment la teneur.
Mais que voulez-vous qu’il fît ?
Peu de temps après, ma mère reçut un chèque de 5.000 fr. ou un peu plus. C’est, en tout cas, ce dont ma mémoire se souvient. Je vous laisse libre d’apprécier l’objectivité de nos dirigeants de l’époque. Puisqu’on n’avait pas jugé bon de les informer !
Hommage soit rendu à Désiré LORGE pour son obstination, son honnêteté et le souci permanent qu’il avait de rester à l’ombre.
49 Jean-Baptiste Henrard : né le 22 octobre 1850 et décédé le 29 décembre 1929
50 Adolphe Denil : né le 15 octobre 1874 et décédé le 1er janvier 1947. Il était le fils de Louis Denil et de Alphonsine Thibaux de Velaine s/ Sambre
37. Retour de Jules à Bordeaux, de Pierre à Tours.
Comme tous les soldats qui avaient été enterrés sur place pendant la guerre, Jules fut reconduit à Bordeaux par les soins de l’autorité militaire. Je n’ai retrouvé aucune indication à ce sujet dans mes notes griffonnées le plus souvent à la hâte. Pierre, décédé à Paris, fut reconduit à Tours, sa terre natale, par sa famille. Pendant plusieurs années, les parents HAZERA et GUIGNARD nous ont écrit pour nous réitérer leurs sentiments de reconnaissance.
Nos pensées ont souvent vagabondé dans ces régions et le projet d’aller sur place fut très tôt abandonné. Pour de multiples raisons, dont la plus sérieuse était le prix à payer pour ces longs déplacements. Nous avons longtemps rêvé de ces voyages et de la consolation que nous aurions pu apporter, sans doute, à ces braves parents.
Hélas, nos regrets n’y changeront rien !
MonumentBeaumont
Monument aux morts de Beaumont
sur lequel figure le nom de Pierre Guignard
38. Hommage au docteur LARIVIERE.
Le docteur Emmanuel LARIVIERE est né à Boignée, le 29 septembre 1862.
Après des humanités à Floreffe et à Malonne, il fit des études de médecine à Bruxelles et s’installa à Grand-Leez, comme médecin généraliste, vers 1890.
Il épousa le 2 juin 1992, Marie THOMAS, née à Sombreffe le 21 février 1874.
Leur petite-fille unique, Marguerite CORLIER et son mari Jacques VANDERLICK vivent actuellement dans la maison du grand-père maternel, construite en 1892. Ils ont un fils unique domicilié à Noiseux (Durbuy).
De vieux grandleeziens racontent encore aujourd’hui comment avaient été appréciés la gentillesse et l’entregent de la future épouse venue au chantier pour examiner l’état d’avancement des travaux de construction de la nouvelle maison. Elle était venue à cheval de Sombreffe où elle habitait. Elle se promena élégamment à l’extérieur du chantier puis s’approcha de chacun des ouvriers avec simplicité et gentillesse et les complimenta. La visiteuse ne cessait d’admirer l’ampleur de la construction comme aussi celle du jardin et des terrains annexes où seraient construites les écuries.
C’est au docteur LARIVIERE que nous devons le plus grand témoignage d’estime et de respect. D’une belle corpulence, il avait la démarche ferme, empreinte d’élégance et de noblesse. Il était enjoué et rieur, avait le regard franc et un prestige immense. Il ne profitait jamais de l’ascendant qu’il exerçait sur autrui et au contraire possédait ces vertus qui portent l’homme à faire du bien aux autres : la compassion, l’indulgence et l’amour du prochain. Il avait de la force, de l’audace, du courage mais jamais d’emportement.
Sa modération, son humanité, son souci de justice, sa discrétion étaient connus de tout le monde. Enfin, une éloquence naturelle, avec des mots simples, une politesse jamais en défaut, mettaient ses patients à l’aise et inspiraient la plus grande confiance. Il était, en outre, d’un total désintéressement et ne s’attachait pas à ce qui était avantageux pour lui. Un certain mépris de l’argent en somme qui qualifiait cet homme d’esprit et lui donnait la force et la hardiesse d’accomplir des actions dangereuses si le bien-être d’autrui en était l’enjeu. C’est ma mère, dans un dialecte savoureux, qui me parlait souvent du docteur. Nos français, eux, le vénéraient. Pensez donc ! Que seraient-ils devenus sans lui !
Pour l’exercice de sa profession, le docteur se déplaçait dans une voiture à deux roues, ouverte à l’arrière, fermée sur le devant et tirée par un cheval de selle racé, de type particulièrement fin et distingué, plein de classe et d’élégance. La voiture était appelée « tonneau » en raison de sa forme. Lorsque le temps était particulièrement clément, le docteur montait un autre cheval pour visiter les malades dans le village et dans les environs.
Et le couple pouvait, les soirs d’été par exemple, faire de longues randonnées en chevauchant leur monture respective. En automne, en hiver, quand il rentre tard la lampe est déjà sur la table. S’il a eu un problème chez un malade, il reste affable et souriant et vous n’en saurez rien. Tant sa discrétion est absolue et totale. Et il soupe lentement avec son épouse et sa fille, savourant le plat finement préparé. Et le tic-tac, au fond de la pièce, tricote des heures douces. Sur le bureau, le livre commencé la veille ou l’avant-veille, entrouvre déjà ses pages avec satisfaction et volupté. Les heures se passent ainsi dans le bonheur et la sérénité.
Et si tout à coup, la sonnette tressaille dans le vestibule, il accueille le visiteur avec la plus grande amabilité. C’est sa nature, il est aimable et complaisant.
A 56 ans, le docteur dut subir une opération chirurgicale grave dans une clinique de la rue des Eperonniers à Bruxelles. Il y mourut le 23 mai 1919 et son corps fut incinéré à Paris le 27 mai suivant. Les cendres furent transférées au cimetière du Père Lachaise construit dans les jardins du célèbre confesseur de Louis XIV.
Pendant des années, madame LARIVIERE rendit visite à ma mère, plusieurs fois par an, particulièrement en été. Elle allait quérir quelques œufs frais ou des poulettes de race naine et y passait l’après-midi en prenant une tasse de café et en ressassant les histoires vécues. Pour empêcher les réactions d’ordre affectif de s’extérioriser, elle abandonnait furtivement les récits de ma mère, relatifs au dévouement du docteur, à sa probité par s’assurer du confort de la petite Marguerite qui l’accompagnait et jouait à deux pas avec une charmante chevrette.
Pour quelles raisons le rappel de ces lointains souvenirs nous emplit-il d’amertume ? Sans doute les vieux sentent-ils la fin toute proche. On dit d’ailleurs qu’ils ressassent volontiers les histoires de leur prime jeunesse. Serait-ce vrai ?
Lariviere
39.
Lettres de félicitations à ma famille.
Voici une copie de la
lettre de félicitations que reçut ma famille, en date du 17 août 1923 du
Ministère de la Guerre français.
LettreFrancaise
Bien entendu, le Ministère
Belge de la Défense Nationale ne voulut pas être en reste et nous fit parvenir
la lettre dont copie ci-après le 7 septembre 1923.
LettreBelge
Liste des Déportés 1915-1917.
Becquevort Charles Biston Eugène Bastin Joseph Bourgaux Emile Bossuroy Joseph Bridoux Arthur Calonne Louis Calonne Ernest Calonne Eugène Calonne Jean-Joseph Calonne Célestin Calonne Maurice Calonne Jules Challe Emile Charles Joseph Charles Désiré Charles Louis Charlier Jules Collignon Louis Collignon Emile Collignon Zénobe Collard Léon Collard Paul Colson Jean Colson Louis Darte Charles Debouge Joseph Defrenne Jean Defrenne Charles Delcorps Léon Durviaux François Malache Louis Noël-Vanhouche L. Marchal Charles Radelet Léon Materne Léon Robert Joseph Matheise Hector Rousseau Camille * Mine Jules Seron Louis Montfort Léon Dom. Sinte Camille Namèche Gaston Strobants Jules Marchal JulesVandeloise Antoine Nazé Maurice Virlée Jules Noël Eugène Noël-Rousseau Louis | Dury Léon Dujardin Louis Dujardin Antoine Dupont Jules Dupont Joseph Dupont-Verlée Eugène Dupont Vincent Durviaux Fernand * Delcorps Georges Delcorps Joseph Delfosse Cinna Delhaye Armand Delsipée Xavier Delvigne Jacob Denil Arthur Denil Emile Denil-Virlée Arthur Derouck Gustave Dewez Léon Donné Victor Draye Léon Draye Nestor Dujardin Georges Etienne Louis Expeels Henri Favart Fernand Favart Julien Fournier Hadelin François Camille Gailly Louis Garnier Armand Noël-Siplet Jules Maloteau Jules Radelet Charles Masson Léon Renoir Victor * Matheise Herman Rousseau Arthur Michotte Armand Seront Floribert Montfort Emile Sinte Armand Montfort Théophile Soquette Joseph Masson-Leclercq L. Thereur EmileNazé Jules Villers Georges Noël Emile Noël-Gilles Jules Noël Louis | Geniesse Arthur Geniesse Jules Godefriaux Octave Grèle Léon Hairion Eugène Hairion Léon Hairion Louis Henry Louis Herick René Jadoul Joseph Jaume Louis Jeannie Emile Jeannie Maurice Lacroix Charles-Joseph Lacroix Georges Lacroix Jules Lacroix Léon Lacroix Alphonse Lambeau Emile Lambeau Lucien Lambeau Alphonse Lambert Nestor Lambert Emile Laurent Victor Lecocq Léon Lemens Fernand Lempereur Auguste Lempereur Louis Leroy Jean-Baptiste Lorge Désiré Lorge Emile Maloteau Arthur Piette Fernand Marchal Martin Renoir Ernest Matheise Henri Rousseau Alfred Magné Antoine Rousseau Joseph Montfort Alfred Seron-Malache Jh. Montfort Louis Sinte Jules Nazé Joseph Theise Maurice Malache JulesVanhougardine Félix Noël Camille Virlée Joseph Colignon Emile Simon ... |
* = nés en1899 | Sauf erreur ou omission |
Combattants14-18
Addenda :
Les similitudes de la guerre 1940/1945 dans ma région.
Je vous relate certains faits vécus en 1940/1945 et qui ne sont pas sans évoquer avec ceux de 1914/1918 certaines similitudes. Enfin, ils sont perçus comme tels.
Tout d’abord, à notre retour de France, où comme tant d’autres nous avions évacué, nous avons découvert sur le territoire de notre commune, 24 tanks français détruits par l’aviation allemande. Des Hotchkiss et des Somua qui d’après les renseignements obtenus auprès des conducteurs de chars revenaient d'Afrique où ils avaient participé
à de nombreux exercices. Les Hotchkiss étaient des chars de 12,1 tonnes tandis que les Somua étaient des chars de 19 tonnes.
Somua
Somua-S-35
Somua S-35
Tous étaient touchés, à la tourelle ou aux chenilles. L’un de ceux-ci s’immobilisa dans les prairies humides, à deux pas de chez moi, le long de la rivière. Occupé à des travaux agricoles, j’aperçus un jour, en dessous d’un tank, partiellement cachée par la chenille meurtrie, une boîte en métal dont la présence avait été trahie par la réflexion des rayons solaires. Tous les garnements qui avaient joué auprès et à l’intérieur du tank ne l’avaient-ils pas vue ? Je l’emportai en me promettant de la renvoyer à son propriétaire. Hélas la boîte ne contenait que des lettres à sa fiancée. Elle mentionnait ses nom et prénom mais jamais d’adresse. Une feuille de remboursement de la sécurité sociale portait cependant l’indication d’une rue à Reims et une lettre était signée du prénom de la sœur du soldat. Mes fils écrivirent aux maires de plusieurs villes de France mais ne reçurent jamais la moindre nouvelle.
Voici comment nous avons rencontré ce conducteur français après la guerre.
Il faut tout d’abord rappeler qu’en 1918, ma belle-sœur Louisa DELOOZ, épouse Louis STROOBANTS avait été la marraine d’une petite française, née en Belgique et baptisée chez nous. Il semble que la filleule n’ait jamais revu sa marraine. Cependant son mari, inspecteur d’assurances, pensionné, suggéra un jour d’entreprendre des recherches pour retrouver sa marraine, disait-il, sinon pour passer en Belgique quelques jours d’agréables vacances.
Les retrouvailles furent empreintes de joie et de bonne humeur et j’y participai avec tous les membres de la famille. L’inspecteur était d’une jovialité permanente et communicative. Je lui soumis le cas. Donnez-moi les éléments essentiels, me dit-il. Les inspecteurs de la compagnie sont toujours à ma disposition. Ce soldat français, ils vont le retrouver. Après trois mois d’incessantes recherches, le résultat inespéré fut atteint. Le soldat s’appelait Roger PERRIER, était marié, avait 3 enfants et habitait « Les Seguins » 14, chaussée des Carrières à 16600 Ruelle. Il vint nous voir. Nous nous sommes rendus à quelques pas de ma maison paternelle et notre hôte nous expliqua avec force détails que…
Les avions allemands venant du Bois de Buis avaient attaqué et détruit la plupart des chars français. Nous n’avions pas les armes nécessaires pour résister à ces attaques et fûmes réduits à détaler en direction de Gembloux.
A la faveur de l’obscurité naissante, je m’introduisis dans un char, le même que celui que je venais d’abandonner, au-dessus de la côte du pont des Pages, à hauteur d’un chemin conduisant à Sauvenière. Les clés auront été enlevées, pensa notre soldat. Et bien, non ! Tout était intact. Je démarrai sans attendre et roulai jusqu’à Sombreffe où une pompe à essence, le long de la grand-route me tendait les bras. Un Belge sortit de l’immeuble et s’enquit de mes besoins. Faites vite, me dit-il, car ceux qui vous poursuivent ne me demanderont pas l’autorisation de vider la citerne.
Ce tank m’a conduit jusqu’à la côte où je fus accueilli dans un embouteillage indescriptible par des anglais qui exerçaient une autorité sans faille. Finalement, je me trouvai sur un bateau avec des milliers d’autres soldats. Mais je veux être bref : j’ai suivi une instruction militaire sévère, j’ai combattu en Afrique, en Italie pour revenir enfin en France.
Pendant toutes ces années, je n’ai pas encouru la moindre blessure. J’ai reçu de nombreuses décorations et ma candidature au poste de contremaître à la fabrique d’armements de Bordeaux fut rapidement acceptée en raison sans doute de mes états de service mais surtout de la parfaite connaissance des obus de tout calibre qu’on y fabriquait pour la marine.
Vous m’écoutez en silence et pourtant vous vous dites : « et sa claudication d’où vient-elle ? » Vous avez raison, un obus de petit calibre a explosé à l’usine, loin de moi, mais j’ai quand même reçu un éclat au pied gauche…
Des courriers furent échangés chaque année entre nos familles et prirent fin sans raison en 1975.
SOUVENIRS
Extraits d’un cahier de devoirs de 1912
devoir03a
devoir02a
devoir02b
devoir01
devoir03b
devoir04
devoir05
Souvenir de nos cinquante ans de mariage.
Mariage25_01
Victor02
------------------------------------------
Signature
Couverture02
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Nous remercions vivement Patricia, Lisiane, Thierry, Roseline et Vincent RENOIR pour leur collaboration et leur aimable autorisation qui nous ont permis de présenter ici le récit captivant de leur grand-père Victor. |
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
... et en bonus :
Victor04